Le sel de Seudre en Saintonge

Activité millénaire, la saliculture longtemps moteur de l'économie littorale en Saintonge, a contribué à modeler des paysages encore sous nos yeux aujourd'hui, entre Charente et Gironde sur la côte de Charente-Maritime.

D'abord obtenue par la chauffe de l'eau salée dans des gobelets d'argiles - les sites à sel des Santons, nos ancêtres, environ 800 ans avant notre ère - la production de sel par évaporation est attestée sous Dagobert.

Mais l'expension des marais salants, à partir de l'endigage des anciennes vasières, se réalise au XIème siècle. En témoigne la donation en 1095 de marais salants de Mornac au prieuré Saint Nicolas de Royan.

Le XVIIème siècle connaît l'apogée de l'activité salicole, en même temps qu'un trafic maritime intense vers les pays scandinaves. C'est que le sel est le meilleur moyen pour conserver les produits alimentaires, viandes et poissons, dont les pêcheurs du Nord sont grands producteurs. Ceci avant que Basques et Saintongeais se mettent à pratiquer la pêche "poisson vert, la morue, à Terre-neuve".

Un peu plus tard au début du XVIIIème siècle, la bonne qualité du sel des hauts de Seudre "le sel blanc du Liman" entre Mornac et l'Eguille en fait un produit coté aux marchés d'Amsterdam !

Après le déclin de Brouage déjà connu lors de la Révolution Française, les marais salants de Seudre se maintiennent au XIXème siècle. le coup d'arrêt sera donné par la Guerre de 1914-1918 dont beaucoup de fils de sauniers seront victimes. La plupart des marais salants sont alors transformés en claires à huîtres. Seuls quelque sauniers âgés persistent dans le métier, tel Marcel Bourdin et René Bricou à Mornac. Aujourd'hui deux marais sont en activité l'un près du chenal de Luzac rive droite de la Seudre par Max Grandillon, l'autre à Mornac par le jeune Sébastien Rossignol et son épouse Sophie, qui témoignent d'une belle vitalité.

Un milieu façonné à la main

Véritable oeuvre de développement durable, la réalisation des marais salants exige un patient travail de façonnage à la main du milieu naturel : il faut à l'homme du marais, au saunier, gagner sur la mer. Et lui confisquer ses grandes vasières hostiles pour en modeler la protection à partir de digues les "taillées".

Le marais salant, atelier de plein air soumis aux aléas de la météo est d'abord le fruit d'une réflexion et d'efforts considérables en matière de science hydrolique. Etablir de bons niveaux pour la circulation de l'eau et son évaporation jusqu'à la cristallisation du sel n'est pas simple. Pas facile non plus l'entretien annuel dès le printemps contre l'envasement. Et que dire des travaux de restauration des digues capables de résister aux assauts des grandes marées d'équinoxes ou... de tempêtes comme "Xynthia" en 2010.

C'est pourtant cet aménagement du milieu et ce système hydrolique judicieusement équilibré qui ont fonctionné au fil des siècles pendant plus de mille ans, leur fonctionement étant économe de moyens mais pas de bras ! Les outils sont restés simples. Parmi les principaux : le "rouable", une raclette à long manche est utilisé, tour à tour, pour l'entretien du marais et la récolte de sel ; le "servion" au manche plus court permet de relever le sel en pilots ; la "férrée", pelle métallique étroite et le "boguet" pelle en bois servent au travail de l'argile - la vase - selon sa consistance, pour la réfection des différentes parties du marais. Par ailleurs les "cois" ou "gourmats", des troncs d'arbres creux ainsi que des planches à trous, permettent de moduler la circulation de l'eau. Enfin c'est avec les "saugouaires" deux petites planchettes que l'on met le sel en paniers pour le transporter jusqu'à la "bosse", la partie haute émergée du marais, où s'élève le "mulon", le tas de sel en attente de livraison. Tout à côté est édifiée la cabane de saunier, un abri de bois brut recouvert de roseaux, qui permet une protection contre les intempéries et le rangement des outils. Rive gauche de Seudre, ces cabanes ne sont qu'abris journaliers, les villages étant proches des marais ; par contre rive droite, elles sont un lieu de séjour hebdomadaire avec cheminée et paillasse, ceci du fait de l'éloignement des habitations.

Faire saler le marais !

"Vent de nordet, de Nord-Est, sale marais !" Le dicton de Seudre est juste. Encore mieux que la chaleur des rayons solaires c'est la brise de terre qui engendre la sécheresse. Voilà le beau temps pour faire saler le marais !

Mais le sel n'est pas seulement le fils du soleil et du vent ! C'est le fruit d'un patient travail et d'une recherche d'harmonie dans un fragile équilibre écologique. D'abord la circulation d'eau. A partir du "jas", la réserve où se fait la décantation de l'eau, les sédiments se déposant sur le fond, l'eau de mer entrée par une petite vanne "la varagne" (ou varaigne), circule par gravitation sur un long parcours et une épaisseur de plus en plus faible.

L'eau va d'abord passer par les "conches" les grandes puis les petites disposées en forme de peignes, puis elle entre dans "les tables", suivies des "muants", avant de pénétrer par "les achenaux" dans "les aires" saunantes, de petits bassins d'environ 60 mètres carrés disposés en 2 rangées.

Tout au long de ces méandres la concentration en sel va augmentant. En fin de parcours le taux de salinité est de 300 grammes par litre, c'est alors la cristallisation dans "les aires" (appelées aussi oeillets).

Dernière étape, la récolte se fait, d'abord en faible quantité, en surface de l'eau où se forme une fine pellicule : "la fleur de sel", on disait autrefois "le sel fin". Puis toujours dans une faible couche d'eau, l'épaisseur d'un doigt, les cristaux de gros sel se forment près du fond d'argile relativement dur et parfaitement plat.

Pieds nus sur l'argile craquelée

Le "rouable" au long manche en main, Sébastien Rossignol va retirer le sel sur "la vie", la petite digue basse centrale du marais. Au préalable il "brasse" le sel dans l'eau à plusieurs reprises. Il faut voir cet homme du marais, pieds nus sur l'argile craquelée ! Quelle dexterité ! L'outil du saunier de Mornac plie avec une grande souplesse. A chaque coup le rebond du long manche est le prolongement du geste du bras. Fibres du bois et muscles de l'homme travaillent ici en parfait harmonie. Pas de fatigue apparente. Sans un brin de vase, le sel est adroitement conduit au bord de l'aire. Il est aussitôt relevé avec le "servion" en petit tas, les "pilots". Là on le laisse égouter avant son transport vers le tasselier, sur la bosse où s'élève comme une pyramide blanche, le mulon, tels ces amers qui balisaient autrefois chaque marais salant des bords de Seudre.

Roger Cougot et Max Prudhomme

Pour « l'Huître Pédagogique »

Diaporama attaché

 



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